Depuis 1993, Relais-femmes s’est positionné comme un acteur central du soutien au mouvement des femmes dans le champ économique. Cet engagement se poursuit à travers la mise en commun de réflexions, d’analyses féministes et de formations, en appui à la volonté active du mouvement des femmes de faire de leurs actions des lieux d’émergence et de croissance de modèles économiques centrés sur les personnes, porteurs de justice, d’équité entre les hommes et les femmes, et garants d’un meilleur partage de la richesse.
La démarche de formation qui est proposée dans cette trousse s’inscrit au cœur de la mission des centres de femmes : elle vise à favoriser une plus grande autonomie des femmes en leur permettant de réfléchir à la façon dont elle pensent et agissent face aux questions d’argent et d’économie ainsi qu’à leur condition économique.
Document de travail produit dans le cadre de l'atelier : « La sécurité économique des femmes : les critiques féministes du discours économique dominant et les nouvelles avenues de politiques sociales »
La recherche de l'IRIS1 (Institut de recherche et d’information socio-économique) sur les mesures d’austérité et les femmes interpelle Relais-femmes. L’ampleur de la transformation du rôle de l’État québécois par le gouvernement Couillard impose une réaction.
Relais-femmes est un organisme de liaison et de transfert de connaissances en égalité hommes-femmes qui collabore depuis 35 ans avec les mouvements communautaires et des femmes et le milieu de la recherche. Cette position privilégiée nous permet d’affirmer que les décisions politiques et économiques ne sont pas neutres, au sens où une même action gouvernementale peut avoir des conséquences différentes pour l’un et l’autre sexe.
La perspective néolibérale a plus que jamais pour effet d’ajuster notre vivre ensemble aux principes de la logique marchande suivant laquelle l’efficacité ne se mesure qu’en termes de rentabilité économique. Au nom de cette vision caricaturale de l’équité, on affirme désormais qu’un service public ne profite uniquement qu’à la personne qui en bénéficie, voulant du même coup que celles qui n’en profitent pas n’y contribuent pas financièrement.
Lorsqu’il est question de planification économique, l’égalité entre les femmes et les hommes est un principe rarement retenu. Le ministre des finances Carlos Leitão a affirmé en commission parlementaire sur les finances publiques le 10 février dernier que les mesures présentées par son gouvernement pour revenir à l’équilibre budgétaire étaient neutres, technocratiques et sans effet particulier sur les femmes. Cette attitude n’est pas nouvelle. Dans le contexte actuel d’austérité et de suprématie du discours économique néolibéral, la question de l’égalité est systématiquement écartée par le gouvernement, sous prétexte que ce dernier s’occupe d’abord de l’urgence que serait l’équilibre budgétaire.
Le 2 mars, l’IRIS publiait une étude sur les mesures contenues dans les budgets du gouvernement du Québec après la crise de 2008, montrant leurs effets différenciés sur les hommes et les femmes. «Si l’on peut expliquer en partie la stratégie de relance du gouvernement par le fait que la crise économique ait davantage frappé les hommes, la différence importante de portée des mesures d’austérité est plus difficile à comprendre». De fait, les hommes ont été beaucoup plus favorisés par la relance économique grâce, par exemple, aux projets d’infrastructures qui offrent des emplois traditionnellement masculins. Cependant, les femmes sont plus durement touchées par les mesures d’austérité, notamment par les coupures effectuées dans les services publics où elles sont majoritaires à travailler.
Respecter ses engagements en matière d’égalité
Nous partageons l’hypothèse de l’IRIS. Une analyse différenciée selon les sexes (ADS), menée en amont des décisions budgétaires, aurait pu éviter ces nouvelles disparités. En effet, l’ADS permet de prendre en compte les impacts spécifiques sur les femmes et sur les hommes d’un projet ou d’une politique, et ce, de son élaboration à son évaluation. Dans l’objectif d’établir une plus grande égalité, on pose dès le départ des questions telles que : «Le projet touche-t-il les femmes et les hommes de la même façon? A-t-il des effets inégaux, crée-t-il des obstacles pour l’un ou l’autre sexe?».
Dans cette optique, le gouvernement libéral affirmait en 2007 sa volonté de mettre en place les mécanismes nécessaires à l’atteinte de l’égalité des sexes en adoptant la politique «Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait». Toutes les structures gouvernementales devaient utiliser l’ADS dans la préparation et l’évaluation de leurs actions touchant la population. Cependant, le gouvernement n’a pas donné les moyens à ses fonctionnaires de mettre en place cette pratique et les données sont encore très partielles, voire inexistantes dans certains ministères et sociétés d’État.
Miser sur l’égalité tout en réduisant l’endettement public est possible
Le refus actuel du gouvernement de se préoccuper de l’impact différencié de politiques publiques sur les femmes et les hommes n’aidera certainement pas le Québec à améliorer sa situation économique. Les décisions budgétaires ne sont pas neutres et peuvent avoir un effet différent sur les femmes et sur les hommes. Une approche économique nouvelle, qui ait pour objectif l’égalité des sexes, profiterait à l’ensemble de la société en plus d’améliorer la situation des femmes sur une base individuelle. Miser sur l’égalité tout en réduisant l’endettement public est possible et le Québec, à l’instar d’autres pays, en est capable. Cela exige cependant un changement de paradigme afin que l’égalité ne soit plus considérée comme un obstacle à la prospérité, mais plutôt comme un vecteur de développement économique et social.
Les membres du conseil d’administration et de l’équipe de Relais-femmes
1http://iris-recherche.qc.ca/publications/austerite-femmes
Pour un modèle de société qui réponde à nos valeurs et à nos aspirations
En plus d’élire ceux et celles qui nous gouverneront, une période électorale offre à tous et à toutes l’opportunité de réfléchir au modèle de société qui réponde à leurs valeurs et à leurs aspirations. C’est l’une des occasions de mesurer le chemin parcouru et d’identifier ce qu’il nous reste à faire pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes. Le mouvement des femmes ne fait pas exception : il a toujours utilisé cette période pour faire valoir la pertinence de ses revendications et de ses visions en ce qui concerne le développement du Québec.
Aujourd’hui, nous souhaitons porter à l’attention des partis politiques l’intérêt que représente l’égalité entre les femmes et les hommes en tant que vecteur de développement social et économique. Nous avons la conviction qu’au-delà de l’application du principe d’égalité, il faut s’engager résolument dans la mise en place de politiques, d’orientations et de mesures qui tiennent compte de cette égalité entre les sexes.
En contexte d’austérité, le Québec serait fou de se priver de ce vecteur de développement
Les femmes en profiteront bien sûr, mais toute la société ne pourra que mieux s’en porter. À cet effet, la Banque Royale du Canada, que l’on ne peut qualifier de propagandiste féministe, affirmait en 2007 que : « Les revenus personnels seraient plus élevés de 168 milliards de dollars si le traitement des femmes sur le marché du travail était identique à celui des hommes (…), mesuré par la probabilité d'occuper un emploi au même revenu moyen, et 1,6 million de plus de femmes seraient employées au Canada1 ». Le potentiel de l’apport des femmes n’est pas pleinement compris, reconnu et mis à profit. Pour que le traitement des femmes sur le marché du travail permette d’atteindre celui des hommes, on comprendra qu’il faille agir sur plusieurs fronts à la fois, notamment l’éducation, la socialisation, les choix professionnels de même que tous les champs afférents à la capacité de participer pleinement à la vie économique, sociale et politique.
Il est primordial que la société québécoise reconnaisse que les importants progrès réalisés en ce qui concerne l’égalité des femmes sont toutefois insuffisants. Les défis changent, les besoins également. Ce que le Québec a accompli en matière d’égalité mesure sa capacité à aller de l’avant. L’égalité, clé pour penser le développement du Québec, est porteuse de transformations durables pour l'ensemble de la société. Ce changement de paradigme qu’implique une approche plus sociétale et systémique de l’égalité nécessite un virage important. Le rôle de l’État est central en matière d’égalité, autant en ce qui concerne les orientations et les plans d’action qui relèvent de ses compétences directes qu’en ce qui touche les mesures qu’il pourrait encourager au sein des entreprises.
Opérer un virage par des investissements qui rapporte
En effet, tel que souligné dans le Plan d’action gouvernemental Pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2011-2015,des études et recherches ont démontré que les sociétés ayant atteint des cibles élevées en matière d’égalité jouissent d’une meilleure santé économique. D’autres analyses démontrent également que les entreprises dont le conseil d’administration comprend une proportion significative de femme présentent une meilleure performance.
Il devient donc impératif que l’action des instances publiques et privées soit orientée en fonction de leurs répercussions différentes sur les femmes et les hommes. Exercice exigeant, sûrement, mais combien porteur de stratégies d’intervention efficaces pour le développement de notre société. Ainsi, l’application plus généralisée de l’analyse différenciée selon les sexes et de la budgétisation « genrée » irait dans ce sens.
Toutefois, une culture sociétale d’égalité implique de documenter les pratiques inspirantes en matière d’égalité, de valoriser l’ensemble des résultats de recherche existants et d’initier des recherches sur les enjeux actuels.
L’égalité s'incarne dans ses pratiques novatrices de développement, au-delà des valeurs! Pour un développement social et économique durable, ne faisons pas l’économie de l’égalité…
Les membres du conseil d’administration et de l’équipe de Relais-femmes
Relais-femmes : Depuis plus de 30 ans, Relais-femmes développe et coordonne des services de recherche et de formation. De par la nature de sa mission et de ses orientations, il poursuit des objectifs de transformation sociale et cherche à susciter des changements en profondeur par le renforcement de la capacité d’agir des personnes et des collectivités. www.relais-femmes.qc.ca
1 L’avantage de la diversité: l’économie du Canada au XXIe siècle, Banque Royale du Canada, 2007, www.rbc.com/diversite/research.html.